Au Québec, on dénombre environ 13 000 familles d’accueil pour déficients intellectuels. Si l’expression « famille d’accueil » est connue de tous, le métier ou plutôt la vocation qu’elle représente reste largement méconnue du grand public.
En cette semaine québécoise de la déficience intellectuelle, nous avons trouvé à propos de vous présenter un article sur le sujet. Nous sommes donc allés à la rencontre d’une famille d’accueil de la région pour en apprendre davantage sur leur réalité. Si le couple a chaleureusement accepté de nous accorder une entrevue, il a préféré garder l’anonymat pour des raisons que vous découvrirez dans cet article.
Depuis quand êtes-vous famille d’accueil pour déficients intellectuels et pourquoi avez-vous fait le choix d’en devenir une?
Nous sommes famille d’accueil depuis 1997. Et étrangement, je vous dirais que c’est le destin qui nous a dirigés vers ce choix. L’établissement pour lequel je travaillais à l’époque en tant qu’éducatrice spécialisée m’a contacté alors que j’étais en congé de maternité pour nous demander si nous étions intéressés à devenir famille d’accueil pour une jeune femme présentant une déficience intellectuelle.
Nous n’avions pourtant jamais fait de demande en ce sens, alors nous n’avons jamais vraiment compris pourquoi ils nous avaient contactés! C’est donc par pur hasard qu’on nous a demandé si ça nous intéressait de devenir famille d’accueil.
Nous y avons beaucoup réfléchi évidemment, et nous avons décidé de nous lancer dans cette fameuse aventure-là! Nous avons donc accueilli notre premier « usager », et elle fut la seule pendant deux ans, car mon mari et moi avions tous deux nos propres métiers. Puis progressivement, nous en avons accueilli de nouveaux et aujourd’hui, nous hébergeons 8 usagers!
C’est donc devenu votre emploi à temps plein?
Oui exactement. Mais c’est pas mal plus que du temps plein! (rires) Nous sommes responsables d’eux 24h/24h, 7 jours sur 7 et 365 jours par année.
Vous avez eu quatre enfants au travers de tout ça; ça s’est bien passé pour eux ?
Mes quatre enfants ne se souviennent même pas d’avoir vécu dans la maison sans les usagés. Pour eux, leur vie dans la maison c’était avec eux. Et lorsque l’on regarde en arrière, on ne regrette absolument pas d’avoir fait ce choix. Ça a fait des enfants qui ne sont pas égoïstes, qui sont capables de partager à la fois leurs parents et leur espace de vie. Ce n’est pas toujours facile, c’est évident, mais les enfants ont appris très tôt ce qu’était la différence. Ils ont aussi appris à observer les comportements de nos pensionnaires et à intervenir auprès d’eux de la bonne manière.
Il est souvent arrivé que nos enfants viennent nous voir en nous disant : « un tel ou une telle ne va pas aujourd’hui », car ils avaient remarqué un changement dans leur comportement. Ils savaient décoder les signaux!
Aujourd’hui, mes enfants sont devenus de jeunes adultes qui ne changent pas de trottoir quand ils voient une personne en difficulté et leur viennent en aide. Ça leur a emmené un beau sens de l’ouverture et surtout, un beau sens de l’humanité.
Pouvez-vous nous décrire une journée dans votre quotidien?
Est-ce que c’est un roman que vous voulez écrire? (rires) Écoutez, ce qu’il faut comprendre c’est qu’en déficience intellectuelle, chaque ressource (famille d’accueil) est différente, car chaque exploitant à des forces différentes. Les établissements nous envoient donc les usagers en fonction des forces que l’on a en tant que ressource. Il y a des milieux où les usagers ont une déficience intellectuelle très légère, donc ils n’ont aucun problème de comportement ou de santé mentale, et aucun soin physique. Ce sont des usagers qui ont besoin d’amour, besoin d’être bien entourés.
Dans notre cas, les établissements ont préféré utiliser ma force (ma formation et mon expérience en éducation spécialisée) pour nous envoyer des usagers qui avaient certains troubles de comportement, qui avaient besoin de réhabilitation et d’un cadre de vie beaucoup plus rigoureux.
Donc chacun des usagers dont nous avons la responsabilité a une routine adaptée en fonction de ses propres besoins. Certains sont capables d’être autonomes, de préparer leur petit déjeuner, leur lunch pour l’école; ils sont capables de nous aider dans les tâches quotidiennes comme déneiger, rentrer du bois, ranger leurs affaires. Et j’ai d’autres usagers qui nécessitent beaucoup de soins physiques et qui ont de lourds problèmes de santé mentale. Ils sont incapables de s’habiller seuls, de manger seuls, etc.
Une journée typique, c’est donc difficile à décrire! Ça roule beaucoup, et ça demande surtout énormément d’organisation. Il ne peut pas y avoir de zone grise. Il faut que ce soit noir ou blanc, car autrement, les usagers ont du mal à le gérer.
Comment avez-vous vécu la dernière année? Comment avez-vous géré cette situation sans précédent avec vos usagers?
Ce que vous devez savoir, c’est que malheureusement, notre travail est très peu valorisé. À travers la pandémie, les ressources intermédiaires et les ressources intermédiaires de type familial (RI-RTF) n’ont eu que très peu de cas de contamination. Nous avons tous fait un travail extraordinaire. Toutes les activités ont cessé et les usagers ont été assignés à domicile…ça a demandé un réaménagement de toutes nos activités et nos horaires. Nous avons dû revoir les méthodes d’accompagnement et de soutien. Ça n’a pas été facile pour personne, nous le savons bien, mais les usagers n’ont jamais eu la capacité de comprendre pourquoi du jour au lendemain ils ne pouvaient plus aller à leurs activités, ni même sortir de la maison ou voir leur famille.
Nous avons été les seuls à travers tout le système à tenir le coup durant le confinement, et encore aujourd’hui, on tient le coup. Nous n’avons pas vu nos enfants ni nos petits-enfants depuis des mois pour protéger nos usagers, on s’est coupée de la Terre entière, nous ne sommes pas allés ni à l’épicerie ni dans un magasin. Et aujourd’hui, on nous répond que nous et nos usagers ne sommes pas prioritaires pour les vaccins? « Parce qu’on fait une bonne job» alors on nous répond de juste continuer?
On a le goût de crier. C’est très difficile pour nous d’accepter cette situation.
Les gestionnaires ne prennent pas notre défense. Et dès qu’une famille d’accueil déplore la situation au grand jour et critique les décisions des établissements, elle devient l’objet d’enquêtes administratives, et ça va même parfois jusqu’à la fermeture. Les ressources n’osent plus parler… alors on souffre en silence. Nous sommes les grands oubliés de ce système…